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lundi 16 octobre 2017

Lotobiographie





Lotobiographie


J'ai tout fait ou presque tout vu tout aimé
J'ai dormi dans la rouille des brumes
J'ai traîné chie-l'âme sur les quais du malheur
J'ai dormi à la belle étoile en prison sous les ponts
J'ai vu la mort clignoter dans les yeux des enfants
J'ai hésité attendu persuadé que tout était fini
J'ai vu les zombis coincés entre le 20ème et le 21ème siècle
J'ai regardé dans le rétroviseur, narguant le traîne-dieu
J'ai tiré la langue à cet idiot qui se dit poète
J'ai dit ceci cela bien déconné foncé tête baissée
J'ai encore un faible pour un oui ou pour un non
J'ai rêvé d'un grand bruit sur la lune
J'ai holographié tous les paysages
J'ai chanté sous les érables nus et les séquoias géants
J'ai somnolé sur les rochers muets et le jour s'est évanoui
J'ai chevauché un essaim de lumière m'abîmant dans le lointain
J'ai flippé et il a fait nuit dans ma tête
J'ai sauté à pied joint dans le vacarme du temps présent
J'ai repoussé la lumière jaune des morts
J'ai été enseveli par les haines hallucinées
J'ai rêvé d'une baraque au fond de la forêt
J'ai rêvé d'une solitude chaude et glacée pour rire et pleurer
J'ai regardé les autres mourir en file indienne
J'ai au creux de la main printemps été automne hiver
J'ai bu tous les alcools goûté tous les poisons
J'ai pris racine sur cette étoile qu'est le hasard


Claude Pélieu











Ancien cimetière de voitures à Châtillon en Belgique





Claude Pélieu est un auteur français de la Beat Generation. Il a été le traducteur d'Allen Ginsberg et de William Burroughs, et on sent le souffle de Jack Kerouac dans ce poème. Personnellement, j'aime la spontanéité qui l'anime et se traduit en éclats poétiques. La soif d'avaler l'existence dans sa vastitude. « J'ai sauté à pied joint dans le vacarme du temps présent ». À la fois, s'enthousiasmer du monde, vivre sans temps mort toutes les expériences bonnes ou mauvaises, mais aussi s'abandonner à la contemplation et prendre du recul par rapport à tout ce temps-monde qui se déroule. « J'ai au creux de la main printemps été automne hiver ». Cela aboutit à la formulation de ce qui ressemble très fort à une ascèse tantrique : « J'ai pris racine sur cette étoile qu'est le hasard ». Je ne pense pas qu'il soit facile de vivre pleinement selon ce principe, tant le hasard et le vacarme du monde peuvent être éprouvants. Mais il y a là aussi une bienveillance fondamentale à vouloir faire corps avec les soubresauts du monde et les accueillir pour vouloir jouer avec eux. Y a-t-il une once de sagesse là-dedans ? Ou est-ce folie complète ? Je vous laisse seul juge. Mais pour un moment au moins, j'aime cette créativité poétique qui me parle.

« J'ai rêvé d'un grand bruit sur la lune
J'ai holographié tous les paysages »








Claude Pélieu (1934-2002) par Jacqueline Starer









Voir aussi les poèmes d'Allen Ginsberg : 

- Song






Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.



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