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samedi 19 août 2017

Rien de certain




Rien de certain




La seule chose certaine, c'est que rien n'est certain ; et rien n'est à la fois plus pitoyable et plus prétentieux que l'homme.

(Solum certum, nihil esse certi, et homine nihil miserius aut superbius)

Pline l'Ancien, Histoire naturelle.





La formule de Pline "Solum certum, nihil esse certi"
sur les poutres de la librairie du château de Montaigne en Dordogne




    Je regardais récemment une émission de tourisme à la télévision à propos des châteaux de la région de Bordeaux. À un moment donné, les présentateurs allaient visiter le château de Montaigne où le philosophe Michel Eyquem de Montaigne a vécu et a écrit ses Essais. Ils ont montré le haut de la tour dans laquelle se trouvait la chambre où il dormait et sa bibliothèque où il rédigeait ses réflexions sur la vie et lui-même, sa Librairie comme il l'appelait. La particularité de cette pièce est que Montaigne avait fait graver des sentences de sagesses en grec et en latin de ses philosophes favoris sur les poutres du plafond. Et notamment cette formule de Pline : « La seule chose certaine, c'est que rien n'est certain ». Dans tous les domaines et dans toutes les choses, le doute est de mise. On ne peut jamais être certain d'avoir une connaissance véritable et complète de ces domaines et ces choses que nous essayons de connaître. La sagesse est de reconnaître l'ampleur de ce doute au lieu de toujours vouloir s'accrocher à des certitudes ou vouloir imposer sa conviction contre vents et marées.



     Affirmation du doute sceptique souverain, dans tous les domaines de la connaissance, et reconnaissance de l'incapacité de l'homme à l'homme à s'arracher à son ignorance. Ce doute et cette humilité est souvent le point de départ pour une connaissance plus approfondie des choses. Par exemple, la science n'aurait pas beaucoup évolué si elle s'en était tenue à « l'évidence » que le Soleil tourne autour de la Terre, simplement parce qu'on peut voir ce soleil se mouvoir majestueusement dans le ciel toute la journée et qu'on se croit fondamentalement le centre du monde. Si on tient des choses certaines parce que semblant évidentes ou parce que certaines personnes dogmatiques ont proclamé telle ou telle Vérité que l'on ne pourrait pas remettre en question, on ne risque pas d'avancer dans la compréhension du monde. Il faut accepter de prendre le risque du doute et de l'incertitude pour avoir peut-être chose d'apporter un nouvel éclairage au monde. Néanmoins, un véritable sceptique contesterait aussi la sentence de Pline. Que la seule chose certaine soit qu'il n'y ait rien de certain, cela même n'est pas absolument certain. Après tout, il y a peut-être (le peut-être est important) une vérité absolue à laquelle l'esprit humain peut prétendre dans un avenir proche ou lointain.


      C'est en substance l'argument que le Bouddha opposait à un ascète indien, Dîghanakha, disciple de Sañjaya Belatthiputta qui professait le scepticisme. Dîghanakha affirma au Bouddha : « Honorable Gautama, moi, je suis quelqu'un qui dit : "Je suis quelqu'un qui refuse l'ensemble des opinions. Oui, je refuse l'ensemble des opinions" ». Et le Bouddha d'objecter : « Mais quant à cette opinion qui consiste à dire : "je refuse l'ensemble des opinions", vous ne la refusez pas ? 1 »


    Le véritable sceptique n'essaye pas de réduire toute connaissance au doute et à l'incertitude, parce qu'il y a peut-être une connaissance absolument certaine à laquelle l'homme puisse prétendre. Mais le sceptique véritable accepte de demeurer dans le doute là où l'homme ordinaire a en horreur l'incertitude et les remises en question et où il cherche à tout prix des réponses, pour se conforter dans son vain sentiment de puissance, quitte à croire aveuglément des illuminés qui prétendre détenir la Vérité par l'entremise d'un dieu ou d'une science absolument certaine. Le sceptique pense qu'il n'y a pas de honte à dire : « je ne sais pas ». En ce sens, la devise de Montaigne : « Que sais-je ? » est aussi une sentence toute imprégnée de scepticisme.







Le bureau de Montaigne dans sa librairie.
Le siège est penché pour contempler plus facilement les sentences inscrites au plafond.






1 Dîghanakha Sutta (Soûtra de Dîghanakha), Majjhima Nikâya, I, 497-501. Traduction de Môhan Wijayaratna dans : « La philosophie du Bouddha », éd. LIS, Paris, 2000, pp. 42-45










Voir aussi :



















La tour du château de Montaigne où se trouve sa librairie





Le château de Montaigne









Textes et essais sur la philosophie gréco-romaine ici.




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