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mardi 8 août 2017

Formes sur fond vide





Les arbres dans la cour ont de belles couleurs,
Et les oiseaux aimés beaucoup de jolis sons.
Parvenu aux limites de l'indifférencié,
Comment distinguerais-je les formes sur fond vide !
Quand j'en ai le loisir, seul souvent je médite ;
Mon poème achevé, je vais le récitant
Dans les chemins profonds, sous la voûte des pins,
Perdu dans la blancheur des nuages lointains.

Dai'an Puzhuang (1347-1403)




Michael Kenna, montagnes du Huangshan, Chine 










    Poème saisissant que ce poème de Dai'an Puzhuang. Ballade et contemplation des formes de la Nature, qui, spontanément, s'effacent et se fondent dans l'indifférencié de la vacuité. Méditation et, ensuite, envie d'exprimer cette méditation dans une forme poétique. Et retour aux formes de la Nature, contemplation du paysage. Dire à haute voix un poème. Forêt. Nuages. Montagnes et rivières. « La forme est vide. Le vide est forme. La forme n'est autre que le vide. Le vide n'est autre que la forme » nous dit le Soûtra du Cœur.

Souvent, le méditant va de l'un à l'autre dans sa ballade spirituelle. Par moment, on voit les formes. Par moment, on est conscient de la vacuité. Mais les formes sont vides d'une existence ultime. Et la vacuité se manifeste dans les formes ; la vacuité n'a elle-même aucune existence ultime. C'est pourquoi méditer la vacuité revient souvent à observer sous un angle nouveau les formes qui nous entourent, les sons, les odeurs, les saveurs, tout ce que l'on touche ou que le corps ressent, mais aussi les pensées, les émotions, les souvenirs, les imaginations, toutes ces formes mentales. (NB : le mental est une faculté sensorielle selon la philosophie bouddhique qui perçoit des idées, des pensées ou toute production mentale). On observe ces formes avec un regard plein de fraîcheur, débarrassé des distinctions et des concepts que le mental attache aux objets de la perception. Le mental essaye de rendre compréhensible le monde en le découpant, en faisant des catégories et des distinctions et en collant des étiquettes de concepts ou de mots aux choses du réel. Ce n'est pas mal parce que cela nous permet de comprendre et d'avoir une meilleure prise sur le monde. Mais cela devient un problème quand on s'attache de trop à cette conceptualisation et que cela nous enferme dans des mondes de représentations. Il faut pouvoir plonger à nouveau dans l'Indifférencié et voir les choses telles qu'elles sont, avant que le mental ne crée des distinctions et des différences entre les choses et nous fasse voir les objets comme des entités indépendantes les unes des autres. Plonger à nouveau dans l'Indifférencié, c'est donc voir aussi avec un regard neuf la réalité interdépendante du monde.







Wu Guanzhong







      Ce poème de Dai'an Puzhuang se trouve dans l'anthologie « Poèmes Chan », publiée aux éditions Picquier, traduction de Jacques Pimpaneau, Arles, 2005 (2016 pour l'édition de poche).









Voir aussi : 


Apparence et vacuité (sur des vers de Longchenpa)






Une goutte d'eau (poème de Dôgen Zenji)









- Quand nous n'avons aucun lieu où demeurer (Dôgen et Fernando Pessoa)
















Sur la piste des Maures, dans le forêt de Plan Sarrain, fin de journée.
Photographie : 
Un jour, une photo











Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du Chan et du Zen ici: 

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