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dimanche 18 septembre 2016

Végane, consommateur ou acteur politique ?






     Je voudrais réagir à une vidéo-interview d'Yves Bonnardel, fondateur des Cahiers Antispécistes, sur la page facebook de « I am vegan TV ». Yves Bonnardel défend dans cette vidéo une ligne selon laquelle le véganisme n'est pas la solution-miracle pour sauver les animaux de l'immense boucherie qu'est devenu le globe terrestre. Yves Bonnardel y déclare notamment : « Je ne crois pas qu'on change le monde par une sorte d'accumulation de changements individuels ». Pour Bonnardel, le combat pour la cause animale doit nécessairement passer par un combat politique. Selon lui, il faut changer le monde en s'attaquant à ses structures sociales, à des idéologies. Il faut « s'affronter à des groupes sociaux adversaires ».

    Yves Bonnardel réfute le « Go Vegan » comme alpha et omega de la lutte antispéciste, car cela revient à avoir un traitement individuel de la question animale. On essaye de convaincre les gens uns par uns à devenir végane. C'est tout d'abord une méthode très lente qui risque d'aboutir seulement dans deux siècles. Mais en plus cela conduit à une crispation identitaire dans la communauté végane où on passe son temps à se demander ce qui est végane et ce qui ne l'est pas. On lit les étiquettes dans les supermarchés pour bien s'assurer qu'il n'y a aucun produit animal dans le produit que l'on va acheter. Et en plus, on surveille le comportement des animale véganes pour s'assurer qu'il ne commette pas des « péchés » en mangeant un œuf de la poule du jardin ou de temps en temps une barre de chocolat au lait. C'est ce qu'on a appelé la « police végane ». En-dehors des disputes extrêmement désagréable que ce flicage végane peut engendrer au regard des conséquences réelles très minimes de ces écarts, Yves Bonnardel souligne aussi que cela réduit l'activiste de la cause à sa seule condition de consommateur perdu au sein de la société de consommation, et que celui-ci cesse alors de se voir en tant qu'acteur politique.

     Selon lui, il faut revenir à un sens de la justice générale : l'exploitation animale est quelque chose d'intrinsèquement mauvais, comme pouvait l'être par le passé le servage et le régime féodal, l'esclavage, le racisme et la discrimination à l'encontre des femmes. Pour vaincre cela, il a fallu un combat politique tenace pour en venir à bout, combat qui doit bien souvent d'ailleurs être maintenu et prolongé. Pareillement, pour défendre la cause animale, il faut « avoir un esprit constructif pour créer collectivement un mouvement politique qui va intervenir dans l'arène publique ».

     Je pense qu'effectivement, un mouvement végane qui ne se préoccuperait que de ce qui se trouve dans sa propre assiette et qui aurait pour but ultime de lire les étiquettes des produits au supermarché n'irait pas bien loin. Mais néanmoins, je reste sceptique face à cette exaltation du combat politique. Yves Bonnardel dit d'abord qu'il faut s'affronter aux groupes sociaux adversaires, mais sans les nommer. Qui sont-ils ? Tout d'abord, au niveau le plus fondamental, c'est la société carniste dans laquelle nous vivions. Notre société est dans sa quasi-entiereté composée de gens qui mangent de la viande, du poisson et des produits animaux, sans que cela leur pose trop de problèmes de conscience. En tous cas, ils font tout pour ne pas garder à la conscience tout le massacre des animaux, le zoocide permanent et l'enfer que nous leur faisons vivre. Une société dans sa quasi-entiéreté, cela fait beaucoup de monde ! Le rapport des forces est clairement en notre défaveur. Bien sûr, on peut manifester contre les abattoirs. Mais je pense qu'à l'heure actuelle, le meilleur moyen de résister et d'opposer son refus au carnisme, c'est de devenir végane. Quand vous dites à quelqu'un qui vous êtes végane et que ce n'est pas pour des raisons de santé, la personne en face de vous comprend tout de suite que vous mettez en accusation tout le système de l'exploitation animale. Même si vous ne vous êtes pas du tout justifié et que vous n'avez rien dit.

      Les autres « groupes sociaux adversaires », ce sont le lobby de la viande, le lobby de la pêche, le lobby du lait, le lobby de l'élevage et puis toutes sortes d'autres groupes dont les activités tournent autour de la chasse, de la vivisection, de l'expérimentation animale, du cirque, des zoos, etc... Cela fait beaucoup d'argent et beaucoup d'emplois en jeu. Si on les attaque directement comme le voudrait Yves Bonnardel, ils vont réagir violemment pour préserver leur gagne-pain. Cela se produit déjà : récemment des activistes de la cause animale qui avaient organisé des « Nuits Debout » devant des abattoirs ont été violemment été pris à partie par des éleveurs en colère.

       Si maintenant on fait l'apologie du passage au véganisme ou en tous cas d'une alimentation plus végétale, les choses se passent plus pacifiquement. On trouve ainsi de plus en plus de laits végétaux dans les magasins bio, mais aussi dans les supermarchés classiques : lait de soja, lait de riz, lait d'avoine, etc... Ce n'est pas d'ailleurs uniquement pour des raisons de souci de la condition animale, mais souvent pour des raisons de santé, pour le souci de garder la ligne ou des questions d'allergie au lait de vache. Toujours est-il que la demande est grandissante dans cette niche, à tel point que la marque Alpro qui vend ces laits végétaux dans les grandes surfaces a été racheté par Dean Foods. Les véganes ont crié au scandale car Dean Foods est en fait une multinationale texane de produits laitiers. Cela peut paraître choquant, mais en fait pas du tout. Dean Foods a très bien compris que la production de lait de vache est en baisse et la production de lait végétal est elle par contre en nette hausse. Racheter Alpro est une opération logique pour garder des parts de marché dans le domaine du lait. Les multinationales agro-alimentaire s'adaptent au changement d'habitude des consommateurs. En cela, appeler à un changement de consommation, soit devenir végane dans sa version la plus radicale, soit devenir végétarien ou flexitarien a un impact réel sur la globalité du système agro-alimentaire.

      Il me semble aussi qu'on faut prendre en compte un fait important. Comme le disait Aristote : « L'homme est un animal politique ». On pourrait même dire le seul animal politique. Il y a bien des animaux sociaux (fourmis, abeilles, loups, dauphins, etc...) et des rapports de force dans ces groupes, mais aucune possibilité chez les animaux non-humains de penser l'organisation collective de la société et de penser d'une manière ou d'une autre les changements à accomplir au sein de cette organisation. Dans le cas de la lutte pour la libération animale, ce seront toujours des êtres humains qui demanderont à d'autres humains d'accorder plus de droits aux animaux et de faire le moins de mal possible aux animaux. Il s'ensuit que ce combat doit passer par un consensus largement partagé au sein de la population qui veut que les animaux soient des êtres doués de sensibilité et qu'il est mal et injuste de les faire souffrir inutilement. Ce consensus doit aussi arriver à la conclusion logique qu'une fois qu'on a pris conscience de cela, il est juste d'adopter un comportement qui soit en accord avec cette prise de conscience.

    Au niveau individuel, le comportement le plus en adéquation avec cette prise de conscience est le véganisme. Au niveau collectif et politique, c'est de demander l'abolition de la viande et de l'exploitation animale. Mais je vois mal comment on pourrait défendre sérieusement l'abolition de la viande avec des associations et des mouvements où tout le monde mangerait de la viande. Donc le véganisme est pour moi la base de tout mouvement politique en faveur des animaux. Il faut montrer aux gens que l'on peut végétaliser son alimentation sans danger pour sa santé, sans perte du plaisir de vivre. Le mouvement politique ne peut pas qu'être un mouvement d'interdiction et de pénalisation des pratiques d'exploitation animale. Il faut montrer et démontrer aux gens qu'abandonner l'exploitation est profitable aux exploiteurs que sont les humains, que ce soit sur un plan écologique, de santé ou humanitaire. Il faut encourager les gens à avoir une attitude non-violente envers les animaux plus que d'avoir une attitude coercitive envers tel ou tel « groupe social adversaire ».




Frédéric Leblanc, le 18 septembre 2016.















Yves Bonnardel







J'ai développé de manière plus développées ces idées sur le rapport entre démarche individuelle végane et une démarche plus globale, plus politique dans un article intitulé : "La vertu du véganisme".





Voir aussi : 


- Approches du véganisme : Le véganisme doit-il uniquement "zoocentré" (tourné vers le seul intérêt des animaux) ou faut-il aussi faire valoir les arguments écologiques, humanitaires et de santé en faveur du véganisme.




Tom Regan, une passion disciplinée

 Tom Regan donne une image intéressante du travail intellectuel et philosophique afin de justifier et d'argumenter en faveur des animaux et de faire avancer la cause : l'image d'une danseuse étoile qui vit une passion disciplinée.






À propos d'Yves Bonnardel : 

L'animalisme est-il un humanisme ? : voir le texte

     Le philosophe antispéciste Yves Bonnardel s'affirme comme anti-humaniste, voyant dans l'humanisme un rejet de la condition animale. L'humanisme est-il pour autant nécessairement une forme de mépris envers l'animal ? N'y a-t-il pas des penseurs humanistes qui ont mis en doute cette tendance à placer l'homme sur le piédestal de la Création et renvoyer les animaux à leur bêtise et à leur bestialité ? Montaigne en est peut-être le plus grand exemple. Et n'y a-t-il pas aussi dans l'humanisme une dimension de progrès et d'égalitarisme qui doit finir nécessairement par toucher les animaux ?


- Humanisme et égalité : réponses à Yves Bonnardel et David Olivier 

                     1ère partie    -     2ème partie



Penser l’homme et l’animal au sein de la Nature


    Yves Bonnardel et David Olivier, deux contributeurs des Cahiers Antispécistes, ont critiqué l'idée de Nature dans une perspective antispéciste. D'une part, parce que l'idée de Nature suppose une hiérarchie naturelle où les animaux sont considérés comme inférieurs aux être humains. Et d'autre part, parce que l'idée de Nature suppose de voir une harmonie qui régit les écosystèmes, là où il n'y a qu'une lutte infernale pour la survie. Cet article se propose de considérer ces arguments et de se demander si une mystique de la Nature est tout de même possible.









Vincent Bozzolan, Marche contre les abattoirs, Paris, juin 2016




Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.

Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici


Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.



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