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vendredi 16 septembre 2016

Narcos



      J'ai regardé cette semaine la série Narcos réalisée par José Padhilha. La série se propose de montrer la vie du plus célèbre des narco-trafiquants colombiens, Pablo Escobar, le chef du Cartel de Medellin. La série met donc en scène des personnages réels et recèle ainsi un aspect de film documentaire : plusieurs scènes sont entrecoupées de photos et de vidéos d'époque. De manière plus large, la série montre la guerre à mort que les Américains ont livré contre les cartels de la drogue en Colombie, the War on Drugs. J'ai trouvé la série bien faite, plaisante à regarder et addictive (sans mauvais jeu de mot). L'acteur principal, Wagner Moura, qui incarne Pablo Escobar, est très impressionnant dans sa façon de jouer la multiplicité du baron de la drogue, dévoilant un père aimant et sensible doublé d'un tueur implacable prêt à tout pour parvenir à ses fins, un narco-terroriste sanguinaire sans foi, ni loi, mais aussi un stratège qui joue avec le système en place et un homme proche du peuple qui a investi dans des logements et des installations pour les pauvres et les démunis.








     J'éprouve néanmoins un certain malaise après regardé la série. Le premier est l'ambiguïté autour de la personne de Pablo Escobar. Comme il est présenté à la fois comme salaud et un héros, on peut penser que cette série contribue à faire d'Escobar un modèle pour les caïds des banlieues. En fait, si j'ai regardé la série, c'est parce que certains de mes élèves (ceux justement qui jouent aux caïds) l'ont regardée et m'en ont parlé comme d'une référence majeure pour eux. La série peut à l'avenir avoir le même rôle que le film des années '80 « Scarface » qui est toujours à l'heure actuelle une référence incontournable pour les gamins des banlieues. Mais là où Scarface est une fiction qui montre l'ascension fulgurante et la chute d'une petite frappe partie de nulle part et immigré en provenance de Cuba, Tony Montana, Narcos parle d'un personnage réel et d'une situation réelle.

     Le deuxième malaise est le peu d'objectivité dans la présentation de la guerre anti-drogue menée aux États-Unis en Colombie. En fait, la série adopte complètement le point de vue américain : c'est Steve Murphy, agent réel de la DEA (l'agence anti-drogue américaine) qui est le narrateur de l'histoire et un des acteurs principaux dans la traque opiniâtre de Pablo Escobar. En fait, tout est vu à partir du point de vue américain, non sans une certaine condescendance des États-uniens qui viennent apporter la civilisation aux Colombiens démunis en proie à la barbarie des narco-trafiquants. Steve Murphy qui a vécu en Colombie pendant des années ne parle d'ailleurs pas l'espagnol ! Ce qui est un peu bizarre pour un enquêteur chargé de confondre des criminels dont la langue est justement l'espagnol...

    En outre, la faute de la consommation de cocaïne aux États-Unis est systématiquement reportée sur les producteurs colombiens quelque part dans des laboratoires perdus au milieu de la jungle. Mais ce qui n'est jamais dit, c'est que s'il y a une consommation, c'est précisément du fait des désirs et des consommateurs américains. Ce ne sont pas les narcotrafiquants qui ont mis de la poudre dans le nez des traders et stars du show-biz américains ! Le chaos colombien (que la série Narcos montre fort bien) est d'abord une conséquence de la demande américaine de cocaïne. Par ailleurs, si la DEA a poursuivi effectivement les trafiquants de drogue dans le monde entier, la CIA elle s'est régulièrement accommodé de l'action des cartels pour mener et financer des opérations douteuses contre des groupements un peu trop gauchistes ou qui remettaient un peu trop en question les intérêts économiques et impérialistes des USA.

    Or les Américains ont systématiquement privilégié des méthodes violentes pour traquer Escobar et les membres du cartel. Ce qui a eu pour conséquence d'entraîner des ripostes sanglantes de la part d'Escobar et des autres trafiquants. Dans la saison 2, l'autre agent américain de la DEA, Javier Peña, décide de s'acoquiner avec des membres dissidents du cartel de Medellin, les chefs du cartel de Cali et des membres des forces paramilitaires. Les forces paramilitaires sont des groupements fascistes qui combattaient dans la jungle les factions de la guérilla communiste comme les FARC. Très vite, ils en sont venus à massacrer des villageois innocents, femmes et enfants compris, qu'ils estimaient complices à tort ou à raison des communistes. S'allier avec ce genre de personnages juste pour se payer le trophée de la tête d'Escobar est excessivement douteux comme méthode, mais cela n'a pas l'air de poser trop de problèmes de conscience à l'agent Javier Peña, valeureux défenseur des valeurs américaines sur le sol colombien.

     Favoriser des narco-trafiquants et des terroristes fascistes pour abattre un autre narco-trafiquant... Je ne vois pas en quoi l'équation est favorable à la lutte contre la drogue et pas non plus en quoi elle est favorable au peuple colombien qui a souffert des exactions de ces crapules que le gouvernement américain soutenait. Certes Escobar était arrogant et dangereux, mais les paramilitaires et les membres du cartel de Cali l'étaient tout autant, voir en fait beaucoup plus. Plus de 80% des assassinats politiques, des enlèvements et des cas de torture ont été le fait des paramilitaires. Ceux-ci n'ont pas hésité à financer leurs actions en vendant aussi de la cocaïne. On estime les exactions de ces paramilitaires à plus de 150 000 morts.


     Voilà essentiellement pourquoi la série américaine Narcos me pose question et me laisse perplexe.













Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.



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