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lundi 4 juillet 2016

Raphaël Enthoven et les superspécistes




    Dans une récente chronique sur France Inter suite à l'altercation entre des manifestants de Nuit Debout contre les abattoirs et des éleveurs, le philosophe Raphaël Enthoven a réitéré son argumentation anti-antispéciste. On a furieusement l'impression qu'il cherche à concourir pour le championnat mondial de sophismes. Que dit-il cette fois ? Et bien, que les antispécistes ne sont pas vraiment antispécistes, mais plutôt qu'ils sont « superspécistes ». Les antispécistes se mettent sur un piédestal et se coupent de leur animalité en exigeant des humains ce que les animaux ne feraient jamais. Les animaux mangent d'autres animaux. Si les animaux humains s'interdisent de manger d'autres animaux, c'est précisément parce qu'ils se croient supérieurs au reste de la Création, nous dit Raphaël Enthoven (très inspiré en cela par Dominique Lestel).

      Évidemment, ce genre de discours est rendu possible parce qu'on caricature constamment l'antispécisme. Pour les antispécistes, il faut refuser refuser l'idée que l'homme soit un être supérieur qui a tous les droits sur les autres êtres conscients que sont les animaux. Il faut refuser de privilégier l'espèce humaine ou toute autre espèce animale : si on pense qu'il est mal de blesser, de torturer ou de tuer un être humain, il est mal aussi de blesser, de torturer ou de tuer un animal. Tout comme nous, les animaux n'aiment pas souffrir ou voir leur vie menacée. On doit donc éviter toute souffrance inutile aux animaux.

     Enfin, les antispécistes pensent qu'il n'y a pas de différence de nature entre les hommes et les animaux, mais une différence de degré. Les hommes n'ont pas de spécificités propres qui les rendraient radicalement différents des autres animaux. Les partisans de la différence de nature invoquent la Raison, l'intelligence, le langage ou la liberté dont seraient dotés uniquement les êtres humains pour mettre ceux-ci sur un piédestal. Mais on retrouve une capacité de réflexion, des formes rudimentaires de communication chez les animaux. Les animaux ont moins d'intelligence que les humains, mais ils en ont. Entre les hommes et les animaux, il y a donc un degré différent d'intelligence, mais pas de coupure radicale entre eux. Pareillement, le langage est de toute évidence beaucoup plus subtil et développé chez les humains, mais on retrouve des formes de langage chez les animaux, que ce soit le chant des baleines, les cris d'avertissement chez les oiseaux...


     Quand les antispécistes parlent donc d'égalité, c'est une égalité de considération des intérêts. Une vache ou un cochon a droit à ce que l'on prenne en compte ses intérêts : ne pas être maltraité, ne pas être tué... On ne veut pas dire que l'égalité est une égalité de capacité. Personne ne nie que les humains soient plus intelligents que les animaux. Les antispécistes nient simplement que cette intelligence supérieure soit un argument pourexploiter et maltraiter les animaux. De la même façon, le guépard peut courir à cent kilomètres, ce qu'aucun humain n'est capable de faire. Le guépard est supérieur à la course, mais n'a pas de privilèges moraux sur d'autres animaux du fait de sa capacité de courir plus vite que les autres. Les chauves-souris sont capables de se repérer dans le noir complet grâce à leur sonar. Les oiseaux volent dans le ciel. Ce sont des capacités dont sont dépourvues tous les êtres humains. Si la chauve-souris était devenu l'animal dominant sur la surface de la planète Terre, elle aurait probablement élevé la capacité d'envoyer et de percevoir les ondes par écholocation comme un signe évident de la supériorité de son espèce.

    Or il se trouve que l'homme est doté de cette intelligence ainsi que d'une importante capacité d'empathie. Tout cela lui permet de développer une conscience morale et le pouvoir de choisir entre tel ou tel comportement. Cette conscience morale et cette liberté ne sont pas séparées de la Nature, mais elles sont issues de la Nature elles-mêmes comme la vitesse du guépard, le sonar de la chauve-souris ou les couleurs qui changent sur la peau du caméléon. L'homme a la capacité d'arrêter de manger de la viande pour des raisons éthiques, parce qu'il a décidé d'arrêter d'en consommer parce qu'il a pesé le pour et le contre de la chose. C'est beaucoup plus difficile pour un tigre ou lion de se décider à se convertir au végétarisme. C'est pourquoi il est justifié de demander en priorité aux hommes de devenir végane. Cela ne fait pas des hommes une espèce supérieure, cela fait des hommes à qui on demande d'assumer leur responsabilité en ce monde. On ne demanderait pas à un enfant des responsabilités politiques ou de conduire une automobile. Vous n'appelez pas votre arrière-grand-mère de 104 ans pour déménager votre piano à queue ou le lave-linge. C'est parce que les adultes dans la force de l'âge ont la capacité d'assumer ces responsabilités qu'on leur donne ces responsabilités. Il ne s'agit pas de dire si les adultes sont supérieurs ontologiquement aux enfants ou aux personnes âgées, mais d'exiger des responsabilités en fonction des capacités des uns des autres. C'est pareil avec les animaux. Les humains s'engagent parfois en faveur de la survie des baleines à bosse. La réciproque est nettement plus rare : on n'a jamais vu les baleines manifester en faveur des enfants qui meurent dans la guerre en Syrie...






    Enfin, on peut se poser d'autres questions concernant Raphaël Enthoven, Dominique Lestel et tous les autres qui invoquent le « struggle for life », la prédation des animaux à l'encontre d'autres animaux pour justifier leur consommation de beefsteak. Enthoven et Lestel disent qu'en mangeant de la viande, nous acceptons la part animale qui est en nous, le prédateur féroce qui est en nous. C'est là une idée très caricaturale du monde animal. Dans la nature, il n'y a pas que des prédateurs. De très nombreux animaux sont des herbivores qui ne feraient pas de mal à une mouche. Pourquoi ne pas dès lors accepter l'herbivore qui sommeille en vous, messieurs Enthoven et Lestel ? Pourquoi voir la quintessence de la Nature uniquement dans le tigre, le lion, le requin ou le loup, et pas dans l'antilope, le cheval ou l'éléphant ?

     Pourquoi vouloir aussi à tout prix imiter le monde naturel ? En soi, il n'y a ni bien, ni mal dans la Nature, mais ramené à la sphère de la conscience morale humaine, certains comportements animaux nous apparaissent comme étant répugnant. Les grizzlis tuent leurs propres petits pour que leur mère accepte de s'accoupler à nouveau avec le mâle. Qui voudrait imiter cela ? Franchement. La Nature ne peut donc pas être un modèle pour nos comportements moraux. En plus, le comportement du tigre à la puissante musculature et à la mâchoire d'acier quand il se jette sur sa victime dans les documentaires animaliers n'a pas grand-chose à voir avec Raphaël Enthoven ou Dominique Lestel qui vont au supermarché acheter une barquette de chipolata ou de blanquette de veau. Cela s'apparente beaucoup plus à l'attitude nécrophage de la hyène ou du vautour


     On voit donc que cette argumentation de Raphaël Enthoven n'est rien d'autre que de la sophistique, un discours destiné à embrouiller les gens et à justifier l'exploitation des hommes et des animaux malgré toute l'argumentation rationnelle qui montre la nuisance de cette exploitation animale, tant sur le plan de l'éthique, sur le plan de la politique, sur le plan de l'écologie que sur le plan de la santé, tant pour l'humanité que pour l'animalité. 

















Insolente Veggie







À propos des précédentes chroniques de Raphaël Enthoven :












Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour de la libération animale ici.


Voir tous les articles et les essais du "Reflet de la lune" autour du végétarisme et du véganisme ici



Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.





Insolente Veggie






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