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samedi 4 juin 2016

Je rentre à la maison

Je rentre à la maison, je ferme la fenêtre.
On m'apporte la lampe, on me souhaite bonne nuit,
et d'une voix contente, je réponds bonne nuit.
Plût au ciel que ma vie fut toujours cette chose :
le jour ensoleillé, ou suave de pluie,
ou bien tempétueux comme si le Monde allait finir,
la soirée douce et les groupes qui passent,
observés avec intérêt de la fenêtre,
le dernier coup d’œil amical jeté sur les arbres en paix,
et puis, fermées la fenêtre et la lampe allumée,
sans rien lire, sans penser à rien, sans dormir,
sentir la vie couler en moi comme un fleuve en son lit,
et au-dehors un grand silence ainsi qu'un dieu qui dort.


Fernando Pessoa (Alberto Caeiro), Le gardeur de troupeaux, XLIX, NRF, Gallimard/Poésie, Paris, 1960 (pour la traduction d'Armand Guibert), p.103.






Jackie Evans






      Je trouve ce poème magnifique. Le joie de savoir savourer l'être, se réjouir d'une vie simple. Se mettre au diapason de la Nature et être ce jour ensoleillé, car il est agréable de savourer les rayons du soleil ; et être ce jour de pluie car il est agréable la pluie et la brume et des nuages gris ou noirs qui pèsent sur la vallée. D'habitude, les gens râlent et se plaignent quand il pleut : leur humeur est morose comme s'il fallait être d'autant plus sinistre que la pluviométrie se montre importante. Alors que c'est les jours de pluie, de gris, de froid qu'on a le plus besoin de chaleur humain pour se réchauffer le corps et l'âme. Pour Fernando Pessoa sous son hétéronyme Alberto Caeiro, il s'agit d'apprécier de manière égale le temps qu'il fait, en tous cas, ne pas commencer à nourrir des jugements, toutes sortes de temps sur le temps qu'il fait. De toutes façons, le temps qu'il fait passe : autant donc l'apprécier comme quelque chose d'agréable à regarder, à observer. Observer avec sympathie les gens qui passent dans la rue, observer la vie qui circule dans les rues et sur les places. Mais rentré chez soi, apprécier s'observer soi-même, voir comment la vie coule en nous à chaque instant de notre vie. Spectacle magnifique qui se joue à huis-clos, tandis que dehors, tout est silencieux et on sent la présence massive de ce dieu qui dort et soupire dans ses rêves. Dieu, c'est-à-dire la Nature, comme disait Spinoza.





Denise Fontaine - matin brumeux sur Cointe (hauteurs de Liège en Belgique) - novembre 2011




Autres poèmes de Fernando Pessoa :

Le Tage

Des montagnes et des plaines

Voir les champs et la rivière

Clair de lune à travers les hautes branches

Ecriture et pensée



Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.







Écosse





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