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lundi 1 décembre 2014

Rien n'est plus utile

Rien n'est plus utile à l'homme que l'homme.

Baruch Spinoza, L’Éthique, IV,35, Corollaire I.




Dans son livre le plus fameux, L’Éthique, Spinoza se livre à une étude minutieuse de l'esprit humain, des passions qui affectent cet esprit, de ce qui enchaîne l'âme humaine dans un état misérable de servitude et enfin de ce qui la libère. Spinoza arrive au constat que l'ignorance et les passions tristes aliènent et asservissent l'esprit ; et si les hommes sont dominés par les passions tristes comme l'avidité ou la haine, ils vont nécessairement entrer en conflit entre eux : « En tant que les hommes sont dominés par des affections qui sont des passions, ils peuvent être contraire les uns aux autres » (proposition IV, 34). La haine poussera les uns à détester, à médire ou à combattre contre les autres . Cette haine appellera à la haine en retour et à la vengeance si un tort a été commis. L'avidité poussera plusieurs personnes à rechercher la même chose ; et donc à entrer en compétition et en conflit, ce qui provoquera haine et ressentiment... La jalousie incite à la rivalité, au commérage et à la médisance. L'orgueil pousse à s'élever soi-même inconsidérément au dépens des autres que l'on va rabaisser et mépriser. Les règnes des passions tristes rend nos rapports humains difficiles et conflictuels, douloureux en tous cas.

Mais si, par contre, les hommes élèvent leur conscience en comprenant le mécanisme des passions, « accèdent au deuxième, voire au troisième genre de connaissance » pour reprendre la terminologie de Baruch Spinoza, alors les hommes vont pouvoir dépasser ces haines, ces chamailleries, ces disputes, ces conflits pour vivre en harmonie : « Dans la mesure seulement où les hommes vivent sous la conduite de la Raison, ils s'accordent toujours nécessairement en nature » (proposition IV, 36). Les passions tristes nous font voir le monde comme autant de sources de conflit d'intérêt ; la Raison dépasse cette vision des choses en nous montrant que nous sommes plus mutuellement complémentaires qu'opposés les uns aux autres. La Raison nous montre que nous avons plus intérêt à nous entendre et à nous épauler les uns les autres que de se tirer dans les pattes en permanence. Certes, les hommes cherchent leur intérêt comme les passions nous poussent à le faire ; mais notre intérêt, c'est d'être soutenu par les autres quand les choses vont mal ou pour entreprendre toutes sortes de projet qu'un seul homme ne pourrait entreprendre par lui-même en autarcie. Les hommes recherchent certes ce qui leur est le plus utile ; mais précisément ce qui nous est le plus utile, c'est l'aide des autres, leur collaboration à toutes sortes de moments de notre existence.

Dès lors, que l'on est guidé par le pouvoir de la Raison qui nous permet de dépasser une vision à court terme où l'on voit seulement son intérêt égoïste au dépens des autres et qui nous permet de troquer cette vision à court terme pour une point de vue plus étendu, plus élevé sur le devenir des relations humaines, on voit alors combien on a besoin des autres, combien « rien n'est plus utile à l'homme que l'homme » et on se dispose d'autant plus aisément à développer en nous les passions joyeuses, qui augmentent notre puissance d'être en tant qu'être relié à tous les autres êtres et qui a envie de collaborer au bien commun, plutôt que d'être enfermé dans un petit égoïsme individuel qui, au final, ne fait réellement ni du bien à soi-même et encore moins aux autres.

Spinoza, dans sa scolie de la proposition XXXV, commente cela : « Ce que nous venons de montrer, l'expérience même l'atteste chaque jour par des témoignages si clairs que presque tous répètent : l'homme est un dieu pour l'homme. Il est rare cependant que les hommes vivent sous la conduite de la Raison ; telle est leur disposition que la plupart sont envieux et cause de peine les uns pour les autres. Ils ne peuvent cependant guère passer la vie dans la solitude et à la plupart agrée fort de cette définition que l'homme est un animal sociable ; et en effet les choses sont arrangées de telle sorte que de la société commune des hommes naissent beaucoup plus d'avantages que de dommages ». La plupart des hommes ne sont pas vraiment animés par la Raison ; et pourtant la société qui nous oblige à vivre en commun avec toutes sortes de gens complètement différents est plus intéressante et profitable que de se retrouver tout seul dans la jungle ou dans le grand Nord à vivre en autarcie. Que l'on pense aux services que procurent les hôpitaux, les écoles, les casernes de pompier, les magasins qui nous évitent de devoir cultiver tous les aliments que nous ingérons ou de devoir tricoter nous-mêmes tous nos pulls et chemises. Ce sont là des avantages indéniables.


Spinoza offre alors une piste réjouissante qui est l'augmentation du bien commun par le progrès de la Raison et l'intensification des passions joyeuses qui augmentent notre puissance d'être en rendant la vie commune plus fluide et plaisante : la générosité, la solidarité, la bienveillance, la fraternité, toutes ces passions qui vivent dans la Joie notre communion avec les autres, qui nous donnent envie d'être utile aux autres. « Un autre monde est possible » nous dit le slogan altermondialiste. Ce serait bien là une devise spinoziste si l'on considère que le monde peut effectivement s'améliorer du fait de la propagation de ces passions joyeuses et de leur puissance communicative à envisager les autres utiles aux autres, et non plus comme des problèmes récurrents. L'éthique spinoziste permet alors d'envisager des pistes et des perspectives sur le plan de la politique d'un monde plus juste et apaisé.






Autre citation de Baruch Spinoza:



Voir toutes les citations du "Reflet de la Lune" ici.





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